Brésil : poésie, rap et culture

Laetitia Rossi, correspondante à Rio de Janeiro, Brésil
8 Mars 2015



Le Circuit Carioca de Rythme et Poésie est un collectif culturel de Rio de Janeiro. Né en 2010, il a permis l'expansion à travers la ville de rencontres musicales initialement informelles. Aujourd'hui, ces « rodas culturais » sont hebdomadaires et ont lieu dans 8 quartiers principaux. Si le hip-hop est dans l'ADN de ce projet, ce dernier s'est étendu à la culture urbaine en général.


Crédit DR
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Le Circuit Carioca de Rythme et Poésie, le CCRP, est un mouvement totalement indépendant, né d'une initiative civile : une jeunesse qui, par manque de moyens et de structure, a pris la rue comme lieu d'expression artistique. C'est en 2010, à la suite du succès d'un premier événement dans le quartier de Botafogo, que d'autres rencontres culturelles urbaines se sont progressivement répandues à travers la ville. C'est cette année-là que le collectif CCRP s'est formé. Il a permis de mieux organiser ces événements et d'en améliorer la diffusion sur la toile, notamment à travers les réseaux sociaux. Scènes ouvertes et battles de rap sont au cœur des rendez-vous organisés par le collectif. 


Ce dernier a permis non seulement l'expansion de cette culture de la rime et de l'improvisation mais également de la culture urbaine dans son ensemble : graffitis, arts plastiques, skate et danse, avec une spécialité pour chaque quartier. L'entrée est gratuite. L'objectif est de démocratiser l'accès à la culture, de l'importer là où elle n'est pas ou peu présente et ce, à travers l'occupation de l'espace public. La place Farani, à Botafogo, en est le fruit. Ancien lieu de consommation de drogue dure, l'atmosphère y a radicalement changé après avoir été le théâtre de cette fameuse première roda de rima.

La place est devenue un lieu de divulgation artistique et de socialisation. Le réseau, aujourd'hui très actif, réunit en moyenne entre 5000 et 8000 jeunes par semaine sur l'ensemble des 8 quartiers que sont Bangu, actuellement suspendu en raison de la présence de milices, Manguinhos le lundi, Botafogo le mardi, Freguesia et Méier le mercredi, Vila Isabel et Recreio le jeudi, et Lapa le samedi. Le phénomène des rodas culturais a pris une ampleur plus grande encore : une soixantaine de lieux différents ont ouvert leurs portes à ces manifestations culturelles à travers l'État de Rio de Janeiro entier, notamment les villes de Macacé, Teresopolis, Petropolis.

En novembre dernier, à l'occasion du quatrième anniversaire du collectif, le CCRP a organisé, dans le quartier de Lapa, un festival portant sur la culture du rythme et de la rime mais également sur le cirque, le cinéma, l'artisanat et l'art en général. L'entrée était gratuite. Les objectifs de cet événement étaient de contribuer à la diffusion de culture urbaine locale, de démocratiser l'accès aux biens et services culturels et de promouvoir la lecture et l'écriture. 
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Des opportunités professionnelles

Au-delà de leur aspect ludique, ces événements offrent également la possibilité aux participants de se créer un réseau professionnel : il s'agit d'un moment où le musicien rencontre le producteur, où le graphiste rencontre le directeur d'une galerie d'art, en somme, un lieu de réunion de travailleurs indépendants. Le travail du CCRP a permis aussi bien de faire découvrir de jeunes talents inconnus, que de faire évoluer la carrière de certains artistes en manque de moyens et de contacts dans l'industrie musicale.


Un désir de diversité

L'idée de ces événements est d'implanter la culture urbaine, et pas seulement le rap, dans le paysage culturel de Rio de Janeiro. Mais il s'agit aussi d'insérer la culture brésilienne dans cette discipline musicale. Il y a là une volonté de se démarquer du stéréotype du hip-hop nord-américain, où souvent la femme est présentée comme un objet sexuel. Djoser Botelho Braz, producteur culturel, membre et fondateur du CCRP, rappelle que la rime et l'improvisation sont présentes depuis longtemps dans la musique brésilienne, notamment dans la samba, et qu'elles ne sont donc pas réservées aux voisins états-uniens. Cette originalité se construit en ayant recours, par exemple, à des instruments et rythmes issus de la musique traditionnelle nationale. 



Relation avec les pouvoirs publics

En 2012, deux ans après la création du CCRP et face à l'incontestable ampleur de ce phénomène urbain, la mairie a décidé d'entamer des discussions avec le collectif. Le maire de Rio de Janeiro, Eduardo Paes, s'est intéressé de plus près à ce qui se passait dans les rues de la ville et a convoqué les membres du CCRP. Ces derniers lui ont présenté leur projet : il a plu au maire, qui a signé le programme de développement de rythme et de poésie carioca ou pacto do rap, décret reconnaissant officiellement le CCRP, stipulant appuis financier et structurel.


Ce n'est cependant qu'un an plus tard qu'a été créé Eixo Rio, un institut intermédiaire entre pouvoirs publics et culture urbaine. Renato Rangel, l'un de ses membres, explique son rôle de médiateur autour du thème de l'occupation de l'espace public et du vivre-ensemble : « Il y a un travail d'articulation entre ce dont les artistes et spectateurs ont besoin et ce que les pouvoirs publics peuvent faire pour leur en faciliter l'accès. Ce dialogue doit permettre aux participants de ces événements, de comprendre qu'il y a un certain nombre de règles, et notamment des horaires, à respecter pour que la mairie puisse libérer l'accès à ces lieux publics. Il y a des concessions à faire pour satisfaire tout le monde, notamment les résidents du quartier. L'idée est de permettre que le Carioca, habitant de Rio, profite de l'espace public, le développe et s'y reconnaisse, tout cela dans le respect d'autrui. Aujourd'hui, c'est dans la rue que Rio de Janeiro retrouve sa vocation culturelle. » Enfin, si ce dialogue a permis de réduire la répression dont les événements du CCRP ont fait l'objet, aucun appui financier des pouvoirs publics n'a en revanche été mis en place à l'heure actuelle.

« N'importe quelle révolution, aujourd'hui, se fait à travers l'art. Je dis souvent à mes amis qu'un appareil photo est une arme, que le développement de l'imagination est quelque chose que l'on doit travailler tous les jours, parce que c'est grâce à l'art qu'on peut changer notre réalité. » Djoser, membre du CCRP. 



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